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Il faut reprendre l’enchaînement des faits qui se sont déroulés il y a dix ans pour comprendre ces révoltes urbaines, aboutissant à la mise en place d’un couvre-feu.

«Ça fait déjà des années que tout aurait dû péter. Dommage que l’unité n’ait été de notre côté», rappait, en 1996, les Suprême NTM dans Qu’est-ce qu’on attend ? Neuf ans plus tard, pendant les émeutes-révoltes de 2005, ce sont près de 300 communes françaises qui connurent des incidents et plus de 230 établissements publics furent partiellement ou intégralement détruits. Une ampleur sans précédent dans les destructions (près de 10 000 véhicules incendiés), les foyers de troubles, le nombre d’arrestations d’émeutiers (quasi 3 000), de policiers blessés (plus de 200), dans l’histoire contemporaine post-Trente Glorieuses, soit depuis les années 70. En quoi ces événements de 2005 restent-ils exceptionnels ? Réponse en cinq actes.

Acte 1

Début de soirée du 27 octobre 2005, à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), des ados rentrent d’un foot entre copains. Ce sont les vacances de la Toussaint. Les jeunes se pressent pour casser leur ramadan en famille. Une voiture de police arrive, ils n’ont pas leurs papiers d’identité sur eux. Ils se mettent à courir. Trois d’entre eux entrent dans un transformateur EDF pour se cacher. Bouna Traoré (15 ans), Zyed Benna (17 ans) meurent électrocutés et Muhittin Altun est grièvement blessé. Deux jours plus tôt, le ministre de l’Intérieur et futur président de la République, Nicolas Sarkozy, s’était déplacé à Argenteuil pour visiter le commissariat sous des huées et jets de pierre, et avait déclaré à des habitants qui observaient la scène de leur balcon : «Vous en avez assez de cette bande de racaille, et bien, on va vous en débarrasser.»

Le lendemain du drame, Nicolas Sarkozy donne sa version, d’après un rapport de police : les jeunes n’étaient pas poursuivis physiquement par les forces de l’ordre. Le Premier ministre, Dominique de Villepin, évoque, lui, un «cambriolage» comme motif d’envoi de la patrouille. Aucune compassion, alors que  deux enfants sont décédés. La révolte demeure cependant circonscrite à Clichy-sous-Bois.

Acte 2

Dimanche 30 octobre 2005, pendant la prière, en plein ramadan, des gaz lacrymogènes pénètrent dans un bâtiment qui abrite la mosquée Bilal à Clichy-sous-Bois. La scène de panique filmée au téléphone portable est diffusée et partagée via Internet. Pas d’excuses du ministre de l’Intérieur ou de l’Etat. La colère et les troubles se propagent à toute la Seine-Saint-Denis. Un basculement se produit.

Acte 3

 Les destructions sont intenses. Parmi les violences les plus dramatiques de cette période, un bus en flammes à Sevran (Seine-Saint-Denis) le 2 novembre, caillassé puis attaqué à l’essence dans lequel une femme handicapée est grièvement brûlée. Un riverain de Stains (Seine-Saint-Denis), Jean-Jacques Le Chenadec, sorti pour éteindre un feu de poubelle, meurt le 4 novembre au cours d’une altercation avec un jeune. Dans la nuit du 6 novembre, la plus destructrice des trois semaines de révoltes, la crise devient nationale.

Acte 4

Un décret pris en Conseil des ministres le 8 novembre 2005 permet l’application, à compter du 9 novembre, de la loi du 3 avril 1955 instituant un état d’urgence. Ce texte autorise les préfets à instaurer des couvre-feux sur les territoires où ils le jugent nécessaire et élargit les possibilités de perquisition de jour comme de nuit. L’état d’urgence n’avait pas été décrété en France métropolitaine depuis la guerre d’Algérie, soit depuis cinquante ans.

Acte 5

Un rapport confidentiel des renseignements généraux daté du 23 novembre 2005, dont le contenu est révélé le 7 décembre par le Parisien, dément les déclarations de nombreux responsables politiques. Il démontre que le mouvement de révolte entre le 27 octobre et le 17 novembre fut social et spontané et non organisé ni manipulé par des groupes, qu’ils soient mafieux («les bandes», telles que nommées par Nicolas Sarkozy) ou islamistes. Ce rapport fut en outre très critique envers les différentes politiques de la ville. Les générations n’ayant pas connu Mai 68 mais qui ont été témoins des émeutes-révoltes de 2005 ont humé les odeurs et ouï les bruits de la guérilla urbaine avec ses destructions de bâtiments publics ou de biens privés, son couvre-feu, ses interpellations, ses blessés et ses morts. Ils ont aussi vu la mobilisation citoyenne dans de nombreux quartiers pour éviter que plus d’infrastuctures ne partent en fumée. Des événements d’une telle ampleur et intensité peuvent-ils se reproduire ? Dix ans plus tard, les problèmes structurels de la France et de ses zones urbaines sensibles demeurent mais l’époque et le contexte politique national comme international ont changé. Reverrons-nous un jour l’automne insurrectionnel et dramatique que nous avons vécu en 2005 ? Si seulement la réponse pouvait être non.

Sandrine Dionys

Article publié dans Libération, le 26 octobre 2015 à l’occasion d’un numéro spécial

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