Il y a un an, le Conseil d’État ordonnait au ministère de l’Intérieur de prendre des mesures pour systématiser le port du RIO, ainsi que d’en garantir la lisibilité. Le RIO, pour Référentiel des Identités et de l’Organisation, est un numéro personnel censé permettre d’identifier les agents du ministère de l’Intérieur, notamment, les policiers. Ce matricule est censé, en partie, rendre possible le contrôle de leurs actions, en s’assurant qu’ils peuvent être tenus responsables de celles-ci. Sans cela, il est impossible de savoir quel agent se cache derrière l’uniforme lorsqu’il y a abus de pouvoir.
Or, 13 mois plus tard, les associations n’ont pu que constater l’absence de mesures en ce sens. Elles ont donc saisi le conseil pour lui demander d’appeler à l’État à exécuter cette décision.
La LDH et L’ACAT saisissent à nouveau le Conseil d’État
Ces associations ont donc déposé une requête en application auprès de la juridiction administrative. Concrètement, cela signifie que dans la mesure où le Conseil d’État a déjà ordonné à l’exécutif d’agir, ils demandent des mesures additionnelles, obliger l’État à appliquer cette décision.
La présidente de la ligue rappelle l’importance de cette mesure, tout d’abord comme prévention aux brutalités policières. À ce titre, la LDH a documenté la manière dont de très nombreuses affaires de violences policières ont été classées sans suite, ou ont fait l’objet de non-lieux, faute de pouvoir identifier l’agent en cause. « Sans le RIO, et s’il n’y a pas de vidéo, c’est quasiment toujours peine perdue », développe Nathalie Tehio, la présidente de la Ligue des Droits de l’Homme.
Cette dernière ajoute que cela contrevient aux dispositions de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, qui oblige les États à tout mettre en œuvre pour assurer le port de numéros d’identification. Or, le grand nombre de cas observables (et observés par les associations), semble illustrer le fait que l’exécutif n’y met pas suffisamment du sien. La représentante rappelle qu’au cours d’une audition sur le sujet, le ministère de l’Intérieur a reconnu l’absence de sanction pour non-port du RIO.
On ne peut pas faire reposer la sécurité des citoyens sur le sens moral individuel des agents
Pour Nathalie Tehio, cette absence de sanction contribue à un sentiment d’impunité personnelle, vis-à-vis de cette obligation précise. Mais aussi à un sentiment d’impunité généralisé au sein de la police, qui permet à certains de ces agents de ne pas répondre de leurs actes. Une situation extrêmement dangereuse qui favoriserait les abus de pouvoir. « On ne peut pas faire reposer la sécurité des citoyens sur le sens moral individuel des agents », s’inquiète-t-elle.
« La redevabilité des institutions » est essentielle à notre démocratie… et à notre sécurité
« La redevabilité des institutions est inscrite à l’article 15 de la déclaration des droits de l’homme de 1789, et ce n’est pas pour rien », appuie Nathalie Tehio. Il s’agit d’une question de droits humains, de protection contre l’absolutisme, de séparation des pouvoirs, mais pas seulement. » En effet, les dispositions de la déclaration stipulent que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».
Cette perte de confiance peut aussi rejaillir sur le sentiment d’implication dans la vie publique, il y a un véritable enjeu démocratique
La présidente de la LDH explique que cette redevabilité est essentielle à la bonne marche de la société, dans la mesure où une perte de confiance sur un corps aussi central que les forces de l’ordre déteint sur l’ensemble des institutions. « Et cette perte de confiance peut aussi rejaillir sur le fait d’aller voter ou non par exemple, sur le sentiment d’implication dans la vie publique, il y a un véritable enjeu démocratique derrière cette question », complète-t-elle.
Ainsi, dans un article dont elle est l’auteur, aux côtés de Jérôme Gaffe, membre de l’observatoire parisien des libertés publiques, on peut lire : « Une démocratie ne gouverne pas par la peur, mais par le consentement des citoyens : or, la confiance de la population dans sa police implique la publication des conclusions de l’enquête sur les cas d’usage de la force ayant entraîné de grave blessures ou la mort ».
Mais cela peut aussi être une question de sécurité. « Si la police est redevable, alors les citoyens lui feront davantage confiance. Si on a peur de la police, on ne va pas aller les avertir si certaines choses ont l’air suspectes, alors même que dans un certain nombre de situations, ce sont des signalements de citoyens qui ont empêché des drames », avance l’avocate.
Quels recours si le ministère refuse d’exécuter cette décision ?
Si le recours ne se traduit pas dans les faits, le Conseil d’État pourrait prendre des sanctions pécuniaires, mais assez peu de recours additionnels sont possibles.
« Il est impensable que l’État ne respecte pas cette décision, sinon cela voudrait dire qu’on n’a plus de recours, on sortirait de l’État de Droit », s’inquiète L’avocate, qui rappelle que le ministre de l’Intérieur ne semble pas tenir ledit État de droit en haute estime, comme l’attestent ses déclarations récentes.
Ambre Couvin