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Les banlieues françaises font la une de la presse lorsque l’émeute éclate ou lors des commémorations de cette dernière. Comme, fin octobre, dix ans après les événements de Clichy-sous-Bois. Par effraction. Le reste du temps, elles sont enfermées dans l’angle mort du traitement médiatique, et convoquées, de temps à autre, sous la thématique justice et police.
Les politiques publiques en direction de ces quartiers ignorent la dimension médiatique, source d’une image désastreuse, très éloignée de la réalité quotidienne de ces territoires. Le poids des clichés, le choc de la stigmatisation. L’État devrait donner une direction ambitieuse et innovante au service public audiovisuel, dont le budget annuel est de 4,3 milliards d’euros, pour renforcer son leadership historique sur les questions d’égalité de traitement éditorial. Or, nous sommes bien loin d’une politique audiovisuelle publique en phase avec les enjeux économiques d’un secteur en pleine révolution technologique et d’une société française traversée par des mutations sociologiques inédites. L’audiovisuel public est devant une triple urgence : la guerre de l’influence, les conservatismes du secteur, le do it yourself.
Hors de la narration républicaine commune
Nous sommes dans une guerre de « l’influence », et l’État doit prendre la mesure des enjeux. Des pans entiers de la population se détournent de la télévision et de la radio publiques, particulièrement les jeunes générations dans les banlieues, absents de ce qui est mis en scène, du récit et de la narration républicaine commune. De ce côté, il ne faut pas se tromper : une partie de la jeunesse regarde ailleurs, se construit des mythes et nourrit son « impensé » avec des valeurs de riposte à un système qui lui semble discriminant, hostile. C’est dans cet interstice que vient se cacher la « haine » propulsée par certains sites web ou se diffuser via les réseaux sociaux. Ce que nous appelons le « complotisme numérique ». Il faut donc réfléchir sur les processus pour y riposter tout en apportant des réponses techniques immédiates.
On ne fera pas l’économie d’un questionnement sur les dangers de la ségrégation territoriale et les séparatismes en œuvre. Au niveau médiatique, nous ne pouvons pas rester dans nos pratiques confortables comme si tout cela était marginal. C’est dans ce sens que l’absence d’ambition du service public de l’audiovisuel est pointée. Cette faille stratégique participe à la dépolitisation de la jeunesse.
En télévision, cette catégorie est enfermée dans le divertissement et le nombrilisme de la télé-réalité. Voilà comment, dans ce pays, on dévitalise le débat politique, on enferme des catégories de la population dans des schémas dictés par le marketing. Dans les débats politiques, nous sommes pollués par ceux qui discourent sans jamais apporter l’ombre d’une hypothèse de solution. Cette posture ne vise, finalement, qu’une chose : masquer la médiocrité et l’inefficacité d’une élite déconnectée des réalités, intoxiquée par le mythe de la France d’avant.
Plaidoyer pour un « France Medias jeunesse »
La France s’est dotée d’un levier « France Medias Monde » pour entretenir et étendre son influence dans le monde. Pourquoi ne pas lancer un « France Medias jeunesse » (TV, radio, numérique, éducation aux médias…) sur le même modèle, avec le service public audiovisuel mais aussi les services académiques de l’Éducation nationale. Il s’agirait de reconquérir notre jeunesse, de lui offrir des clefs et des outils pédagogiques pour comprendre la grammaire médiatique comme on lui enseigne les maths, le vocabulaire, l’histoire-géo…
Nous n’avons pas tout exploité s’agissant des corrections à apporter aux contenus des programmes TV/Radio, aux acteurs de la société civile à inviter, aux animateurs et journalistes représentatifs de la France réelle à installer à l’antenne, des dispositifs d’aides à la création, de la formation des journalistes, de l’accès aux postes de responsabilité et de décisions.
L’histoire des rapports entre le BondyBlog et les directions des médias publics montre qu’il est très difficile de faire émerger une politique liée à l’innovation, au développement de l’audience. Cette relation est en effet perçue comme un risque que l’audience pourrait rejeter ! La mise en œuvre d’une politique audacieuse et avant-gardiste se heurte à une forte opposition interne parce que les médias sont sur la défensive, alors même que cette orientation nouvelle n’entraînerait aucun surcoût budgétaire.
La gestion politique d’un service public de l’audiovisuel est, avant tout, faite de choix en cohérence avec les enjeux démocratiques et sociaux du pays, avec un engagement lisible et chiffré. Il faut agir d’une façon pérenne sur la structure et proscrire les injonctions de la conjoncture politique, le journalisme de commémoration, la dictature du marketing. Bref, se laisser guider par les valeurs qui fondent le service public. Tous les publics : de l’intra-muros et des banlieues.
Nordine Nabili
Cet article a été publié initialement sur le site « Conversation France« 

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