Elles ont en commun d’avoir connu la galère, les problèmes de garde, les pensions alimentaires non versées. D’habiter dans des quartiers prioritaires de la ville et d’élever seules leur.s enfant.s. Depuis dix jours, les mères isolées sont au centre de l’attention médiatique. Parce que 82,9 % des familles monoparentales sont portées par des femmes, c’est l’autorité des mères que les responsables politiques pointent du doigt.
« Il y a beaucoup de familles que l’on appelle pudiquement mono-parentale, mais qui sont en réalité des femmes seules qui élèvent leurs enfants. Il y a donc cette question de l’autorité qu’il faut se poser », a déclaré le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, lors d’un déplacement à Reims, le 3 juillet. Membre de la Collective depuis 2020, Sandrine réagit vivement : « Si ces femmes sont seules, c’est bien que quelqu’un est parti ? Donc les responsables, ce ne sont pas les mères ! Et dans tous les cas, nous ne sommes pas coupables de la colère de nos enfants ».
Née en mars 2020 à l’initiative de mères Montreuilloises, La Collective a pour objectif de lutter contre l’isolement, les inégalités économiques et les discriminations sociales subies par ces femmes et leurs enfants. Avec des antennes à Rennes, Montpellier, Marseille, ou encore Saint-Denis, le collectif compte près de 150 adhérentes.
La galère en commun
« Plus le collectif grandit et plus on se rend compte que l’on n’est pas seules, que toutes ces femmes subissent les mêmes injustices au quotidien, que l’on se démène avec les enfants, l’argent, l’inflation, la précarité, la justice, avec l’école, la CAF, la sécu. C’est la systémie de nos histoires qui nous fait nous sentir plus fortes », témoigne Anita* qui a rejoint le collectif il y a deux ans.
La Collective appelle à une meilleure prise en considération de l’existence et des difficultés des mères isolées dont 46% sont en temps partiel subiet dont la plupart « galèrent pour se loger, pour se nourrir correctement, pour travailler dignement, pour faire garder leurs enfants, pour prendre soin de sa santé, pour avoir droit à une minute de répit ».
Des larmes, « pas de douleur mais de colère » se font entendre à l’autre bout du téléphone. Originaire de l’Essonne, cette quadragénaire vit à Montpellier avec son fils de quatre ans. Elle l’élève seule depuis 2018 et a rejoint la Collective des mères isolées « pour se sentir moins isolée face aux lourdeurs administratives et judiciaires ».
On partageait toutes cette peur viscérale, en se disant : et si c’était mon gamin ?
Près de trois ans après sa création, le groupe WhatsApp de La Collective compte entre 150 et 200 femmes. C’est ensemble qu’elles ont traversé les nuits de révoltes qui ont suivi la mort de Nahel. « On partageait toutes cette peur viscérale, en se disant : et si c’était mon gamin ? » Elles disent s’être reconnues en Mounia, la mère de Nahel, qui fait aussi partie de ces « mères isolées », un statut revendiqué par La Collective depuis les élections présidentielles de 2022.
La reconnaissance de ce statut permettrait de prendre en compte, la réalité économique vécue par ces familles. En 2018, leur niveau de vie est près de 25 % inférieur au niveau de vie médian francilien et elles sont 25,3 % à être en situation de pauvreté. Pourtant, depuis les nuits révoltes qui ont conduit à des milliers d’interpellations, les menaces de sanctions économiques ne cessent d’être proférées à l’encontre des « parents des émeutiers ».
Taper au porte-monnaie des plus pauvres
Aux policiers qu’il rencontre le 3 juillet, Emmanuel Macron assure par exemple qu’il envisage de « sanctionner financièrement et facilement » les parents en mettant en place « une sorte de tarif minimum dès la première connerie » commise par leur enfant. Dans la même lignée, plusieurs figures de la droite et de l’extrême droite proposent de suspendre les allocations familiales aux familles de mineurs ayant participé aux révoltes.
De son côté, le ministre de la Justice, Éric Dupont-Moretti, rappelle dans une circulaire envoyée aux magistrats, « qu’en cas de graves manquements à leurs obligations légales […], les parents risquent jusqu’à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende ». Le garde des Sceaux parle également d’amendes pouvant aller jusqu’à 3 700 euros en cas d’absence lors de l’audience de leurs enfants ou de « stages de responsabilité parentale » pour les familles qui seront jugées défaillantes.
De toute façon, il faut que l’on soit derrière eux, surtout dans ces quartiers… On n’a pas le choix.
À l’évocation de ces sorties médiatiques, Jamila soupire : « Dans les quartiers, quoi que l’on fasse, on sera toujours stigmatisés ». Habitante du quartier du Luth à Gennevilliers, la quadragénaire dit être derrière ses enfants depuis qu’ils sont en primaire. « Je suis arrivée du Maroc à l’âge de 3 ans, mes parents ne parlaient pas français, ils ont travaillé dans les mines dans le nord de la France. Moi, je veux que mes enfants s’en sortent grâce à l’école. » Elle clôt le débat : « De toute façon, il faut que l’on soit derrière eux, surtout dans ces quartiers… On n’a pas le choix ».
Irresponsabilité politique
« Les responsables politiques pointent tour à tour les réseaux sociaux, les films, les jeux vidéos, et maintenant les mères, mais que font-ils concrètement pour les quartiers ? », interroge Anita. Avant de rappeler l’échec de la politique de la ville et les problèmes qui touchent au quotidien les habitant.e.s des quartiers prioritaires : « contrôles abusifs, enseignants non remplacés, galère de transports, maisons de quartiers qui ferment, difficulté d’accès au service public et j’en passe ! »
Quand on inverse la charge de la culpabilité, c’est que l’on est coupable !
« C’est sûr que c’est plus confortable de rejeter la faute sur les autres plutôt que de regarder les erreurs que l’on a commises… Quand on inverse la charge de la culpabilité, c’est que l’on est coupable ! », lance Anita. « Quand on naît femme, on part avec un pack de culpabilité énorme, mais quand on est mère isolée, c’est multiplié par 100 alors ça ne nous atteint pas ! », appuie-t-elle.
Cette culpabilisation des mères isolées crée le terreau parfait pour la défiance des futurs citoyens, pour Anita. « Les jeunes voient que leurs mères galèrent et qu’en plus tout le monde les enfonce, comment est-ce qu’ils peuvent grandir en se disant qu’ils ont envie de participer à la vie de la cité ? », questionne-t-elle.
« S’ils veulent que tout ce cirque s’arrête, alors qu’ils viennent nous parler. Nous, on est là, on les attend. On va leur expliquer notre réalité. À chaque crise, ce gouvernement nous pond des numéros verts et des flyers, mais aujourd’hui, ça ne suffit plus pour apaiser la colère ». Seules mesures concrètes prévues à l’agenda : une loi pour accélérer la reconstruction des infrastructures touchées durant les nuits de révoltes.
Margaux Dzuilka