Les étrangers meurent plus que les autres en France. C’est le constat funeste dressé par la dernière étude de l’Insee sur la mortalité publiée en avril dernier. En 2020, avec la pandémie de Covid-19, le nombre de décès a fortement augmenté en France. La hausse a été deux fois plus importante pour les personnes nées à l’étranger que les autres : + 17 % contre + 8 %.
Des chiffres effrayants concernant les morts de personnes nées en Afrique ou en Asie pendant la première vague
C’est ce que montrent les chiffres de l’Insee publiés le 16 avril 2021 et recueillis à partir des données d’état civil. La hausse a été d’autant plus forte pour celles nées en Afrique (+ 21 % pour l’Afrique du Nord, + 36 % pour les pays d’Afrique Subsaharienne) et en Asie (+ 29 %).
Lors de la première vague entre mars et avril 2020, les décès de personnes nées à l’étranger, toutes causes confondues ont augmenté de 49%, en comparaison à la même période en 2019, contre une hausse de 23% pour les décès de personnes nées en France. Une hausse encore plus significative pour les personnes nées en Afrique Subsaharienne qui enregistrent une hausse des décès de 117%, ou celles nés en Asie dont la mortalité a augmenté de 92%.
“Il y a énormément de facteurs dans les questions d’accès à la santé et d’inégalités sociales de santé. Et si on parle des inégalités sociales de santé au regard des personnes étrangères, beaucoup de choses s’entrecroisent”, résume d’emblée Lisa Carayon, maîtresse de conférences à l’Université Sorbonne Paris Nord, qui travaille, entre autres, sur les droits de la santé et des étrangers.
Et ces chiffres sont encore plus impressionnants s’il l’on s’attarde sur la première vague notamment pour celles et ceux des moins de 65 ans. Le nombre de décès en mars-avril 2020 a augmenté de 101 % pour ceux nés en Afrique subsaharienne, de 79 % pour ceux nés en Asie, de 31 % pour ceux nés au Maghreb… et de 4 % pour ceux nés en France.
Des fonctions essentielles, précaires, dangereuses, où le télétravail n’existe pas
Certains facteurs relèvent des aspects de classe, d’autant plus dans le cas précis de la crise sanitaire actuelle. Les personnes nées à l’étranger occupent davantage des métiers dits essentiels et qui ne sont pas télétravaillables. L’Insee montre que 14 % des personnes en emploi et nées dans un pays du Maghreb et 15 % de celles nées dans un pays d’Afrique subsaharienne sont des “travailleurs clés” (personnels de santé, ambulanciers, postiers, livreurs, agents de nettoyage…). Elles ont donc été davantage exposées au virus.
Dans le secteur du nettoyage, par exemple, ce sont beaucoup d’entreprises de sous-traitance sans organisation syndicale, où le droit du travail n’est pas toujours appliqué.
D’autant plus qu’il s’agit parfois de professions exercées dans des entreprises sous-traitantes, “où le droit du travail n’est pas toujours appliqué”, fait remarquer Benoît Carini Belloni, doctorant en sociologie. “On a vu que c’est là où il n’y avait pas d’organisation syndicale qu’il y avait le plus de problèmes pour appliquer les mesures sanitaires. Or, dans le secteur du nettoyage par exemple, ce sont beaucoup d’entreprises où le droit du travail n’est pas toujours appliqué”, précise-t-il. Pire, certains emplois ne sont même pas déclarés.
Francine Lucet est infirmière puéricultrice directrice d’une PMI à Drancy ; elle explique : “Nous voyons beaucoup de Sri Lankais. Nombreux sont ceux qui travaillent habituellement dans la restauration. Depuis la fermeture des restaurants, ils font des petits boulots sur les chantiers… au noir”.
Transports en commun et petits logements
Exposition au virus supplémentaire : les personnes nées à l’étranger empruntent aussi davantage les transports en commun (49 % pour les personnes nées en Afrique subsaharienne par exemple, contre 15 % pour la population générale, d’après les chiffres Insee de 2016). “La forte fréquence des maladies chroniques, facteurs importants de comorbidité en cas de Covid-19, a rendu les classes populaires du département plus fragiles face au virus”, relèvent également les chercheuses en sociologie politique Audrey Mariette & Laure Pitti dans un article sur la Seine Saint-Denis.
Autre explication à cette hausse effroyable de décès : l’épidémie a beaucoup touché l’Ile-de-France, où résident le plus souvent les personnes nées en Asie et en Afrique. Aussi, les personnes concernées vivent plus souvent que les autres dans des logements surpeuplés. “Les appartements sont déjà très petits mais les enfants adultes sont parfois rentrés chez leurs parents parce qu’ils ne parvenaient plus à se loger”, nous explique Francine Lucet, à la sortie d’un rendez-vous d’une heure avec une résidente Sri Lankaise épaulée par un interprète au téléphone pour son accès aux soins.
« Dans cette région la plus touchée lors de la première vague, le nombre de décès a aussi augmenté plus fortement pour les personnes nées à l’étranger : + 136 % pour celles nées au Maghreb, + 224 % dans les autres pays d’Afrique et + 171 % en Asie, contre + 79 % pour celles nées en France », peut-on lire dans le rapport fourni par l’Insee concernant les chiffres de la région Île-de-France.
“Le risque de contamination était réel(…). Vraiment c’était horrible parce que j’entendais la détresse respiratoire de mon père. On s’est contaminés entre nous dans le logement”, se rappelle Mustapha Idmoussa, dont le père de 75 ans est décédé des suites du Covid-19 en 2020 à Villiers-le-Bel (Val-d’Oise). L’homme se souvient aussi avec amertume des difficultés pour accéder aux services d’un médecin traitant en pleine pandémie.
Le 93 est un désert médical.
Un autre facteur d’inégalité de santé : ne pas maîtriser la langue française peut rendre plus compliqué l’accès aux médecins, les relations avec eux, et qui poussent certains à limiter leurs visites chez le docteur ou à l’hôpital.
Pour une meilleure compréhension des mesures de prévention face à la Covid-19, l’association Banlieues Santé a réalisé des vidéos de prévention traduites dans plusieurs langues (darija, peulh, ourdou…). Être allophone peut rendre aussi plus difficile la prise de rendez-vous en ligne.
Parfois c’est de l’autre côté que la prise en charge coince. D’autres personnes se voient refuser l’accès au soin en raison de leur couverture maladie jugée pas assez rentable par certains soignants. Hugo Si Hassen, chargé de mission santé à la Fédération des acteurs de la solidarité, rapporte : “L’année dernière nous avons eu énormément de refus de soin en direction de personnes en situation de précarité parce qu’elles étaient sous complémentaire santé solidaire ou avait l’aide médicale d’Etat”.
Hugo Si Hassen s’appuye ici sur les remontées du terrain de l’observatoire santé solidarité de la fédération, qui permet aux personnes concernées de faire des signalements en cas de refus ou discrimination de soin. Des régimes de couverture santé qui concernent de nombreux résidents étrangers.
Aller chez le médecin qu’en derniers recours
Les non recours au droit à la couverture maladie sont aussi des phénomènes fréquents. “Cela n’influe pas sur des situations d’urgence, mais sur les soins de première intention”, explique Lisa Carayon. Elle donne un exemple parlant en cas de Covid-19 : “vous toussez un peu, mais vous attendez d’être dans une situation plus grave pour vous rendre à l’hôpital”. Aussi, “Ceux qui n’ont pas de papier ont parfois peur d’être dénoncés en venant”, pointe Myriam Dergham, étudiante en 6ème année de médecine à Saint-Etienne.
Les consultations trop tardives peuvent aussi être dues au manque de médecins libéraux sur le territoire : les personnes ont comme seule porte d’entrée l’hôpital et n’osent pas y aller tant que ce n’est pas grave. Or, l’on sait que ce manque est criant dans certains départements. “Le 93 est un désert médical. Il n’est pas rare de voir des familles qui n’ont pas de médecin”, ajoute Francine Lucet, soignante à Drancy (Seine-Saint-Denis). Au 31 décembre 2020, le département de Seine-Saint-Denis comptait 865 médecins, il y a dix ans on en comptait près de 300 de plus.
Un prénom signalant une confession musulmane réduit de 6,5 points les chances d’accéder à une consultation de psychiatre.
Enfin, l’absence de statistique ethnique pose problème, pour mieux rendre compte du phénomène, mais n’empêche pas de savoir qu’il y a des discriminations raciales dans le soin, estime Myriam Dergham.
Cela se vaut aussi bien dans l’accès au soin que dans la manière de prendre en charge les patients. À titre d’exemple, le Défenseurs des droits a montré, via un testing réalisé sur le terrain en 2019, qu’“un prénom signalant une confession musulmane réduit de 6,5 points les chances d’accéder à une consultation de psychiatre”.
D’après Myriam Dergham, la plupart des médecins sont dans le déni. “Ils vous disent ‘on soigne tout le monde, nous ne sommes pas racistes’. Certes, mais il y a une différence de traitement, rien que dans la façon de parler aux gens, ou même plutôt de leur crier dessus”, se désole-t-elle.
Anfinat Said Ibrahim, 38 ans aujourd’hui, en a fait les frais en 2014, aux urgences de l’hôpital Bichat à Paris. Aux moments des faits, la jeune femme se sent très malade (vomissements, douleurs musculaires…), et a dû emprunter une ambulance pour se déplacer jusqu’à l’hopital.
Se faire maltraiter quand on est déjà très mal…
La première infirmière qui la prend en charge lui demande si elle a voyagé récemment. Elle revient en effet d’un voyage aux Comores, d’où elle est originaire. Réponse sanglante de la professionnelle en réalisant qu’Anfinat Said Ibrahim souffre sans doute du paludisme : “ahhh vous êtes encore parti dans vos pays ! Puis vous revenez ensuite avec vos maladies !”.
La jeune patiente tente de s’expliquer, mais l’infirmière reste agressive, au point d’insister à la piquer là où ses veines ne le permettent pas, ce qui lui fait “très mal”. “Je me suis laissée faire parce que j’étais trop faible physiquement, mais se faire maltraiter quand on est déjà très mal…”, regrette l’intéressée.
Le syndrome méditerrannéen toujours présent malgré le Covid-19
“Les plaintes de douleur, notamment des femmes racisées, sont moins prises au sérieux que celles des autres. Alors qu’en est il de la plainte de la personne qui dit qu’elle a du mal à respirer ?”, se demande Lisa Carayon, en temps de Covid-19. C’est ce qu’on appelle le syndrome méditerrannéen, stéréotype culturel qui consiste à considérer que les personnes, maghrébines, historiquement, mais maintenant, aussi celles originaires d’autres régions d’Afrique et d’Europe de l’Est, exagèrent leurs symptômes et leurs douleurs. Un syndrôme illustré par le décès tragique de Naomi Musenga en 2017.
“Le Covid-19 cause des pathologies respiratoires. Pour savoir si on hospitalise, il faut savoir à quel point la personne en est atteinte. Il y a des indicateurs, comme la saturation, mais aussi la douleur…”, fait remarquer de manière inquiétante Myriam Dergham. Lors de la première vague, la future médecin travaillait dans une unité dédiée du Covid-19. Or, elle l’assure : la mobilisation de ce fameux syndrôme, “habituelle” en temps normal, a continué.
Les inégalités sociales de santé prouvent tous les ans par les chiffres et les récits qu’elles sont un problème à analyser avec une grille de lecture intersectionnelle, qui n’est pas à l’ordre du jour pour le moment du côté des institutions politiques et sanitaires.
Pauline Chambost