Demandez à n’importe quel habitant des quartiers Nord de Bondy et il saura ce qu’est La Marmite. Créée il y a quasiment 25 ans, l’association, reconnue d’intérêt général, accompagne des personnes en situation de grande précarité et d’isolement. Parmi ses actions, l’aide aux personnes malades atteintes par le VIH.
La Seine-Saint-Denis est en effet le département le plus touché par l’épidémie après Paris. Auparavant, le réseau Vigie, ancêtre de La Marmite, créé en 1993 par Vincent Jeantils, infectiologue retraité de l’hôpital Jean Verdier (APHP) à Bondy, avait pour mission la prise en charge des toxicomanes atteints par le VIH. « L’hôpital Verdier est un partenaire de longue date« , explique Alice Gauny, directrice de La Marmite. « L’orientation se fait dans les deux sens. Parfois, ce sont les médiateurs santé de l’association qui redirigent vers l’hôpital les malades qui n’ont pas encore accès aux thérapies« . Une des médiatrices santé se rend par ailleurs à l’hôpital Jean Verdier deux fois par semaine et travaille étroitement avec ses assistantes sociales qui orientent les malades vers l’association, notamment des mères qui viennent d’accoucher et qui sont à la rue. Le personnel de l’hôpital, médecins, psychologues, assistantes sociales et gynécologues, intervient, quant à lui, à La Marmite, pour des ateliers collectifs sur les thématiques de prévention santé ou de lien à la parentalité.
« Pour les malades, le logement est la problématique principale. Dans ce contexte-là, l’accès aux soins devient secondaire »
La Marmite est un lieu d’accueil de jour. Alors que les cuisiniers réceptionnent des denrées des Restos du cœur devant l’association, des animatrices s’affairent à l’intérieur à la distribution des tickets repas, juste avant l’ouverture du réfectoire devant lequel patientent femmes, hommes, jeunes et moins jeunes. Chaque midi, les repas sont préparés par les salariés du chantier d’insertion, qui donnent à neuf personnes éloignées de l’emploi, l’occasion d’avoir une expérience professionnelle encadrée. Des douches et une buanderie sont également mises à disposition.
En plus de cette réponse aux besoins de première nécessité, les quatre médiateurs et trois animateurs, parmi les 22 salariés de l’association, aident malades et non malades pour qu’ils aient accès aux droits communs, trouvent un logement ou encore scolarisent leurs enfants. « Pour les malades, le logement est la problématique principale« , précise Alice Gauny. « 87% des personnes qui viennent ici n’ont pas de logement fixe. Elles vivent dans des hébergements d’urgence, à l’hôtel, chez des personnes de leur entourage, avec toutes les difficultés que cela implique, en termes de stabilité et d’insécurité. Dans ce contexte-là, l’accès aux soins et le suivi des traitements, devient malheureusement secondaire. C’est difficile de gérer cette situation de santé quand on est dans la précarité. C’est ce pourquoi on accompagne, par le biais d’ateliers collectifs mais aussi d’entretiens individuels. » Des ateliers informatiques sont également proposés pour favoriser le retour à l’emploi, par notamment la rédaction des CV et lettres de motivation et des ateliers de recherche d’offres d’emploi.
Des accompagnants en situation de précarité
En 2017, l’association a réalisé un millier d’entretiens individuels, notamment pour les 15 personnes qui ont déclaré être atteintes du VIH. Il y a eu aussi six séances de dépistage, pour 150 personnes environ. Une action importante pour l’association, puisqu’en France, 25 000 personnes ignoreraient leur séropositivité, quand 6 000 personnes par an découvrent encore aujourd’hui leur maladie. Le dépistage est une priorité pour Sidaction, qui subventionne La Marmite. L’association reçoit aussi et fonctionne surtout grâce à des financements publics.
« Nous sommes évidemment touchés par la suppression des contrats d’avenir et la baisse des contrats aidés« , affirme la directrice de La Marmite. « Nous avons réussi à renouveler deux contrats aidés pour six mois, sans savoir ce qu’il va en être par la suite. A terme, l’idée c’est de stabiliser les postes, pour éviter de générer de la précarité au sein même des équipes de professionnels. L’incertitude pèse« , ajoute Alice Gauny. « Il y a une nécessité de pérenniser mais aussi malheureusement de rationaliser l’action qu’on mène. Ce n’est pas facile de prioriser quand on travaille dans l’urgence sociale. »
Le soutien mutuel, clé de l’acceptation de la maladie
L’association Ikambere a de nombreux points communs avec La Marmite. L’insertion sociale et professionnelle des personnes atteintes par le VIH est aussi sa priorité. Située en pleine zone industrielle à Saint-Denis, près de la Porte de Paris, Ikambere est aussi subventionnée par Sidaction. En kinyarwanda, langue du Rwanda, pays d’origine de Bernadette Rwegera, fondatrice de l’association en 1997, Ikambere veut dire « maison accueillante ». Et pour cause : l’association mène des actions de prévention auprès des hommes des foyers de travailleurs migrants, tout en réservant ses locaux aux femmes, souvent originaires d’Afrique subsaharienne, toutes atteintes par le VIH et en situation de précarité à leur arrivée. « Chaque femme est accompagnée selon ses besoins, explique Bernadette Rwegera, à la fois en accompagnement collectif et individuel, pour qu’à la fin, elle puisse être autonome. »
Ces femmes arrivent souvent à Ikambere sur les recommandations de la dizaine d’hôpitaux partenaires de l’association. La prise en charge commence par un premier entretien avec une assistante sociale. Tous les jours, des ateliers sont organisés pour améliorer la situation sociale des femmes malades. Des activités sont également mises en place pour permettre aux femmes d’échanger, de créer des liens, car pour Bernadette Rwegera, le soutien mutuel est une clé de l’acceptation de la maladie. « ll y a des femmes qui viennent d’apprendre leur séropositivité et d’autres qui l’ont apprise il y a 20 ans, qui se sont intégrées, ont un travail, un logement, et vivent comme tout le monde« .
Les nouvelles arrivées peuvent obtenir des réponses des anciennes, sur leurs interrogations et ainsi amoindrir leurs craintes, notamment dans la « salle de convivialité » où elles partagent aussi leur déjeuner. Trois femmes y sont d’ailleurs en train de préparer le repas du jour. Bernadette Rwegera échange quelques mots avec elles. Alors qu’une des cuisinières remue une énorme marmite de viande prévue pour une cinquantaine de personnes, une autre découpe des oignons, pendant qu’une troisième prépare la salade. Il s’agit d’Annie* 58 ans, qui a frappé à la porte de Ikambere il y a deux ans. « Une femme qui vient ici ne peut pas être déçue« , affirme-t-elle. « J’étais sans logement, elles m’ont pris en charge. Ces femmes nous donnent à manger. Elles nous aident aussi pour tous les papiers. Cette maladie qui veut nous emporter, elle ne nous emportera pas tout de suite grâce à leur aide. » Même si sa situation sociale s’est stabilisée, Annie* revient très régulièrement à Ikambere. Elle est devenue bénévole très active pour cette association. « Quand il y a quelque chose à faire, je suis là, on est toutes là. Nous sommes bien entre nous. Le désespoir s’en va quand on arrive ici. »
Alphabétisation, yoga et éducation thérapeutique
Dans la pièce d’à côté, le seul homme présent dans les locaux se prépare à donner un cours. Il s’agit de Luc, le coach sportif. La salle est équipée de vélos d’appartement, de gros ballons et autres matériels de fitness mais aussi de quelques tables et chaises. Sur l’une d’elles, une des animatrices termine un cours individuel d’alphabétisation. Il y a parfois aussi des ateliers socio-esthétiques, de l’art-thérapie, du yoga et autres moments calmes comme des lectures par des conteuses bénévoles. Et bien évidemment des ateliers avec les médecins ou l’animatrice du programme d’éducation thérapeutique mené en partenariat avec l’Agence régionale de santé (ARS).
Dans une autre pièce, on retrouve un cyberespace avec dix postes de travail. Et dans une autre, des machines à coudre et des équipements dignes d’un vrai salon de coiffure. « L’objectif à long terme, c’est que ces femmes soit autonomes« , rappelle la directrice de l’association. « Ce n’est pas forcément d’en faire des coiffeuses ou des couturières mais pendant ce contrat d’un an ou deux, elles ont d’une part des revenus, et d’autre part elles finalisent leurs projets professionnels. C’est une étape transitoire, ça permet de hiérarchiser les démarches. »
Rouguyata SALL
*Prénom modifié