« Je cherche, mais les entreprises ne veulent personne à cette période de l’année », s’exaspère Damien*, après de nombreuses demandes de stage pour clôturer son année. Cet élève de seconde, scolarisé dans un lycée du 11ᵉ arrondissement, désespère toujours de pouvoir trouver une entreprise qui l’accepte, a à peine deux semaines de la date butoir.
Ce stage obligatoire, annoncé par Gabriel Attal le 28 septembre dernier pour « reconquérir le mois de juin », devra en effet se dérouler du 17 au 28 juin, sur deux semaines communes à l’ensemble des élèves de seconde en France. Claire Fortassin, professeure de philosophie et co-secrétaire du syndicat SNES-FSU 93 souligne l’impossibilité que l’intégralité de ces élèves parviennent à obtenir ce stage. « Ce qui est en train de se dessiner, c’est la catastrophe qu’on avait prédite. 550 000 élèves de seconde doivent déferler sur le marché du travail. Entre 50 à 75 % d’entre eux n’ont pas actuellement de stages et c’est dans moins d’un mois », s’agace-t-elle.
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« Ce n’est pas tellement étonnant » explique Virginie Salmen, directrice de ViensVoirmonTaf, association qui aide les élèves d’éducation prioritaires à trouver un stage qui leur corresponde et ainsi lutter contre le déterminisme social. « Par exemple, le dispositif mon stage de troisième mis en place par le gouvernement et auquel on participe, a mobilisé beaucoup d’entreprises depuis 6 ans, exclusivement à destination des élèves de l’Éducation prioritaire. On a réussi avec beaucoup de travail et d’efforts à proposer 30 000 offres de stages aux élèves, pour un stage qui est connu et identifié. »
On a eu aucune information pendant l’année, les profs n’avaient aucune information non plus
Une mise en place rapide qui a entraîné de nombreux problèmes d’organisation. « La circulaire est sortie en mars, à peine 3 mois avant la période de stage », pointe Lucas, enseignant au lycée et membre de la CGT Education 93. Ce qui n’a laissé que peu de temps aux lycéens de s’organiser. Damien indique avoir été informé des différentes modalités de ce stage et avoir obtenu sa convention, il y a seulement un mois. Il déplore le manque d’organisation et d’encadrement concernant ce stage. « On a eu aucune information pendant l’année, les profs n’avaient aucune information non plus », souffle le lycéen.
Des élèves qui seront forcément défavorisés
À l’image du stage déjà établi en classe de troisième, c’est le réseau qui prime afin de trouver une organisation qui répond aux aspirations futures des élèves. « Pour les élèves de l’éducation prioritaire, donc les élèves sans réseau parce que leurs parents sont à 66 % inactifs ou ouvriers, trouver un stage dans le domaine qui les intéresse, c’est carrément mission impossible », soulève Virginie Salmen. Elle tient cependant à nuancer sur l’instauration de ce stage, « les occasions sont rares donc c’est toujours une bonne idée de faire un stage de découverte ».
On va parquer nos élèves comme des animaux 8 heures par jour, pour reconquérir le mois de juin, c’est vraiment quelque chose qui nous révolte
Pour les élèves qui ne parviendront pas à décrocher un stage cette année, le gouvernement prévoit d’instaurer deux semaines en ligne « de découverte des environnements professionnels ». « On va parquer nos élèves comme des animaux 8 heures par jour, pour reconquérir le mois de juin, c’est vraiment quelque chose qui nous révolte. On voit là que nos élèves, soit il faut les mater, soit il faut les occuper puisque le message qu’il y a derrière, c’est que c’est qu’on doit tout contrôler de A à Z », tempête Claire Fortassin.
Une impression de déjà-vu, car un dispositif similaire existe déjà pour les élèves de troisième qui peinent à trouver une entreprise. « Ce sont des élèves désœuvrés qui sont souvent obligés de faire des recherches au CDI, des trucs comme ça. Ils se sentent traumatisés parce qu’ils sont laissés de côté, ils n’ont pas eu la chance d’obtenir quelque chose », souligne Lucas.
Une des possibilités avancée par le ministère pour pallier ce stage obligatoire est de réaliser une mobilité de deux semaines à l’étranger. Une option peu envisageable pour l’ensemble des élèves. « Pour faire un séjour pédagogique, on se demande quels sont les établissements et les familles qui pourront se permettre d’envoyer les élèves deux semaines à l’étranger, clairement, ce ne sont pas les nôtres », s’indigne la professeure de philosophie. Un dispositif qui n’est pas universel à l’ensemble des établissements scolaires, « il existe, mais il est peut-être assez rare », ajoute Virginie Salmen.
Une concurrence sur le stage de troisième
Une des craintes de l’association Viensvoirmontaf est que ce stage de seconde fasse concurrence au stage de troisième. « Il y a 800 000 élèves en troisième qui font un stage. Si on ajoute 560 000 élèves en seconde, mathématiquement, les entreprises vont réduire leur volume d’accueil du troisième. Certaines ont tendance à nous dire, on va plutôt faire deux accueils de troisième et un accueil de seconde. Et ça, c’est vraiment dommage », déplore la directrice de l’association. Elle souligne notamment que le stage en classe de troisième est plus important en termes d’orientation, « ils ont un choix d’orientation à faire en fin d’année, qui est très impactant pour leur scolarité future, ils vont choisir une filière courte, générale ou technologique ».
En ce sens, Aïcha, élève de seconde au lycée Voltaire dans le 11ᵉ arrondissement, ne comprend pas l’intérêt de devoir trouver un stage. La lycéenne a déjà choisi ses options pour l’année prochaine et ne voit pas comment ce stage pourrait influer sur son orientation. « En plus, il n’y a plus de cours après, donc c’est vrai que je ne vois pas l’intérêt de faire un stage à ce moment-là. »
Une manière de démocratisation du SNU
Le SNU (Service National Universel) est la deuxième option proposée par le ministère de l’Éducation nationale pour les lycéens qui n’auraient pas trouvé de stage. Lancé en 2019 par l’ancien Premier ministre, Édouard Philippe, il a pour objectif de « faire vivre les valeurs et principes républicains ». Des syndicats enseignants pointent dans l’instauration du stage obligatoire de seconde, un moyen de relancer le SNU, qui jusqu’alors a peu de succès. « On peut se dire que c’est à demi-mot l’objectif. Tout ça se répond, avec l’expérimentation de l’uniforme à l’école, on a un projet extrêmement réactionnaire, raciste et sexiste. On est plutôt effrayés », désespère Lucas qui dénonce le principe même du SNU.
Ce sont nos élèves les plus pauvres et les plus ségrégués qui vont aller dans ces structures complètement désorganisées
« Encore une fois, ce sont nos élèves les plus pauvres et les plus ségrégués qui vont aller dans ces structures complètement désorganisées, gérées souvent par l’armée et, paradoxalement, pas du tout régulées. Le SNU va à l’encontre de tout ce qu’on estime nécessaire pour la jeunesse. » Ce constat est également partagé par les autres syndicats qui dénoncent « une mise au pas des jeunes ».
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Plusieurs milliards d’euros annuels sont prévus dans le cadre de l’instauration du SNU, une dépense jugée inutile. « Pour faire de la cohésion, on a quelques idées qui n’impliquent ni uniforme ni salut au drapeau. Par exemple, faire en sorte que l’école et que tout cet argent serve à l’école publique. Qu’on permette aux élèves d’avoir des meilleures conditions d’apprentissage, aux collègues d’avoir de meilleures conditions de travail et aussi de prendre le temps de faire des sorties, des voyages. Ce sont des choses qui coûtent de l’argent et qu’on fait de moins en moins », constate Claire Fortassin.
Le constat, partagé par les syndicats enseignants, est unanime, ce nouveau stage obligatoire, « c’est un échec total », s’indigne la co-secrétaire du SNES 93. Cette dernière dénonce dans l’ensemble une mesure totalement contre-productive. « Depuis quelques années, on a de plus en plus de mesures qui nous font perdre notre temps avec des âneries qui vraiment ne sont utiles ni à nos élèves ni à l’école ni à la société. » Une exaspération qui rejoint celle de Damien qui n’est toujours pas fixé sur son stage de seconde.
Lisa Sourice
*le prénom a été modifié