Sa tenue suscite le débat depuis le printemps dernier ou il avait même été condamné par la ministre de l’Education Nationale, Najat Vallaud-Belkacem. Mais ce week-end, le camp d’été décolonial, organisé par les deux militantes Sihame Assbague et Fania Noël, a bien eu lieu au centre international de la jeunesse de Reims.
Si une poignée de partisans du Front National était venue protester lors de la première journée, en ce deuxième jour, les abords du centre sont calmes. A l’intérieur, certains participants terminent leur petit-déjeuner quand d’autres prennent déjà place pour la conférence animée par le sociologue Marwan Mohammed : « Militer dans les quartiers au prisme des rapports de pouvoir dans la rue ».
Avant chaque intervention, les participants peuvent faire des annonces, parler de ce qu’ils souhaitent mettre en place. Une jeune femme prend la parole : elle souhaite créer une rencontre entre personnes queer et trans. Elle s’assoit avant de se relever pour préciser que cette rencontre se tiendra « en non mixité bien sûr ». Dans la salle quelqu’un, ironique, s’écrie : « communautariste ! » Des éclats de rire explosent. Car c’est ce caractère non-mixte, complément assumé par les deux militantes, qui est au cœur de la polémique. Ce camp est en effet uniquement réservé aux « personnes subissant le racisme d’Etat en contexte français »
Avant de débuter, Marwan Mohammed en profite pour faire une petite mise au point. « La non-mixité, ce n’est pas ma tasse de thé mais j’ai compris la démarche et sa nécessité ». Durant deux heures, sont tour à tour abordées les questions relatives aux réseaux dans les quartiers, à l’urgence économique et sociale et son effet dépolitisant, à l’indépendance des acteurs locaux vis à vis des élus… De la théorie mais aussi du pragmatisme dans la bouche du sociologue : « Au niveau local, n’oubliez pas que vous, avec vos beaux objectifs d’émancipation et de fin des inégalités vous ne pesez pas lourd quand un maire promet de faire les papiers à un cousin ou de lâcher un marché public ».
La conférence prend fin, Marwan Muhammad président du CCIF (Collectif Contre l’Islamophobie en France) attend tranquillement son tour pour évoquer « les luttes contre l’islamophobie ». Les participants sont nombreux.
Ateliers pratiques
Dans d’autres salles du centre, d’autres ateliers sont organisés sur des thèmes comme « les enjeux de la parentalité racisée ». Smail, Nawel, Nadira et Anne* sont parmi la vingtaine qui a choisi de participer à l’atelier « construire une lutte anti-capitaliste décoloniale au sein de l’UE ». Il est animé par deux allemands Magda Isak et Mohamed Lamrabet qui rappellent le passé colonial assez méconnu de leur pays mais aussi les polémiques liées aux réfugiés ou l’image de la communauté turque en Allemagne. Puis, c’est au tour des participants de se mettre au travail et de dire dans quels domaines une coopération transnationale pourrait être possible et avec quels outils. Nos quatre participants planchent. Nadira prend les choses en main et le premier thème qui surgit est celui des frontières et de la liberté de circulation. Nawel ajoute que les privilèges se posent forcément quand on parle de la liberté de circulation. Sur les outils, Anne évoque la réécriture de l’histoire, Nawel, timidement avance l’argent. Nadira approuve vivement. Et c’est ainsi que les échanges se déroulent dans toutes les salles au gré des sujets et des problématiques.
Des participants divers
C’est l’heure du déjeuner, l’occasion de se détendre ou de continuer à débattre. Dans la foule qui fait patiemment la queue au self, des jeunes et des moins jeunes, beaucoup de femmes, des militants afroféministes, décolonialistes…, des personnes venues de province, d’Allemagne, du Royaume-Uni ou d’Espagne ou encore des étudiants fraichement sensibilisés à la question du racisme institutionnel en France. Myriam* est CPE dans un établissement d’Ile de France où elle fait souvent face à des remarques racistes concernant les élèves de la part de certains collègues. Elle a hésité avant de venir : « moi j’évolue dans un milieu militant blanc, j’ai des amis anarchistes purs et durs qui vont me dire que je suis racialiste mais je m’en fiche; ils ne savent pas ce que c’est que d’être une femme racisée en France aujourd’hui »
Nawel a grandi au Maroc et est venu en France pour y faire ses études. Elle rédige une thèse sur l’évolution des études post-coloniales. « Comme je n’ai pas grandi en France, ni dans les quartiers, je n’osais pas trop aborder les milieux militants mais je commence à y venir tout doucement ». Smaïl quant à lui, est simplement venu parce que les thématiques abordées l’intéressaient. Tous ont un point commun : toute cette polémique autour du camp ne les intéresse pas tellement quand elle ne les fait pas sourire.
A peine le repas terminé, c’est reparti pour un tour. Françafrique, universalisme blanc, racisme anti-roms, les participants ont l’embarras du choix. Sihame Assbague, l’une des organisatrices, ancienne porte-parole du collectif « Stop le contrôle au faciès » anime un atelier sur les violences policières en compagnie d’Omar Slaouti, membre du collectif « Ali Ziri » et Amel Bentounsi d’ « Urgence notre police assassine ». La salle est aussi bigarrée que tous les participants à ce camp d’été. Parmi eux, une mère de famille venue s’enquérir de la marche à suivre si jamais un de ces deux fils étaient victimes de violences policières. Les intervenants insistent sur la nécessité de toujours demander une contre-expertise, de refuser que le corps soit envoyé trop vite au pays d’origine pour un enterrement, de se constituer partie civile systématiquement… L’atelier se termine sur une formation rapide au copwatching, une pratique venue des Etats-Unis qui vise à surveiller les dérapages éventuels de la police en les filmant.
C’est ainsi que les ateliers se succèdent sur des questions diverses et variées proches mais si loin, dans le contenu, des polémiques actuelles. La journée s’est terminée sur une conférence participative ayant pour thème #2017iscoming : comment s’organiser ? comment prendre part à la lutte ? En parlant de 2017, à plusieurs reprises, les organisatrices ont fait comprendre qu’une deuxième édition du camp d’été décolonial pourrait bien se tenir l’an prochain.
Latifa Oulkhouir
*prénoms modifiés
Une journée au camp d'été décolonial
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